AGEFI – Octobre 2017
Par David Pittet
Directeur général, Pittet Associés SA

Ainsi le peuple a-t-il parlé, et ça sera non. Un non claquant, qui sonne comme un désaveu pour le ministre Alain Berset, qui n’avait pourtant pas ménagé ses efforts pour essayer de faire aboutir un projet raisonnable et équilibré. Une alliance improbable de l’UDC, du PLR et d’une partie de la gauche, notamment la plus extrême, en a voulu autrement, empêchant à une faible majorité une réforme qui aurait fourni dix à quinze ans de « respiration » au système suisse de retraite. Alors, oui, c’est bien un « dimanche noir » pour le peuple suisse, de la même noirceur que celle qu’évoquait, un dimanche de 1992, un certain Jean-Paul Delamuraz.

Réformer un système de pensions n’est pas une chose facile, à aucun moment, dans aucun pays. Ça l’est apparemment d’autant moins quand une telle réforme doit être soumise, de manière quasi systématique, au scrutin populaire, tant la technicité du sujet, l’horizon temporel en jeu, l’influence de facteurs extérieurs peuvent rendre la votation si complexe, que le citoyen, aussi bienveillant qu’il puisse être, s’en retrouve à voter «avec les tripes». Mentionnons préalablement deux évidences, que l’on a peut-être trop souvent oubliées au cours de cette campagne:

• Le premier fait est de rappeler que, dans le contexte actuel (longévité, structure démographique, rendements financiers), cela va de toute façon coûter toujours plus cher, à moins de procéder à des baisses régulières et drastiques des prestations, ce que le peuple a toujours refusé. De ce point de vue, l’affirmation d’une gauche populiste prétendant que «demain, on rasera gratis» est fallacieuse et n’a pas contribué à la hauteur du débat.

• Ensuite, (faire) croire que l’on puisse imaginer une réforme qui sera «éternelle», et qui puisse résoudre les problèmes de manière définitive, est parfaitement illusoire. Il va falloir se préparer désormais à (re)mettre l’ouvrage de la réforme des retraites sur le métier tous les dix ou quinze ans. Quand Benoit Genecand (PLR) prétendait au soir même de la votation sur les ondes de la RTS, qu’on allait «faire une réforme qui assainirait une fois pour toute le système», c’est tromper effrontément la population, et de manière un peu irresponsable. Aucune réforme ne peut assainir le système à long terme, ou alors son coût serait tellement prohibitif aujourd’hui qu’il enterrerait de lui-même le projet.

La réforme d’Alain Berset n’était surement pas idéale, elle était sans doute compliquée, mais elle présentait un paquet équilibré, qui aurait dû permettre de faire «avaler» au peuple deux pilules amères: l’âge de la retraite des femmes et le taux de conversion. La posture du PLR, qui s’est braqué définitivement sur la question des Fr. 70.- supplémentaires dans l’AVS, reste incompréhensible et représentera peut-être une rupture dans l’histoire politique de la Suisse moderne: le parti de la révolution radicale qui abandonne son rôle historique et se révèle le fossoyeur d’un compromis somme toute «bien helvétique».

Vers un projet Berset bis?

Dès lors, que faire? A la télévision suisse-alémanique, alors que les présidents des partis bourgeois promettent un nouveau projet avant les élections fédérales de 2019, Alain Berset rappelle que chaque projet de réforme par le passé a demandé cinq à six ans de travaux préparatoires. Le prétendu plan B du PLR n’en est pas vraiment un. Envisager d’assainir («une fois pour toute»!) l’AVS, notamment en augmentant l’âge de la retraite des femmes, voire en «flexibilisant» la retraite de tout le monde, sans toutefois envisager de compensation sérieuse, semble être voué à un échec irrémédiable devant le peuple. Et le temps commence sérieusement à compter, dans la mesure où l’AVS est entrée dans une zone de déficit structurel de répartition. Alors quoi? Finalement, face à la contrainte du fond AVS qui se vide, un projet Berset bis, auquel on aura fait quelques ajustements de façade pour ne pas perdre la face, et auquel finalement se ralliera le PLR?

Pour le 2e pilier, la problématique n’est pas moins urgente, ni moins complexe, même si les institutions de prévoyance enveloppantes ont pu prendre des mesures d’ajustements sans attendre de changements légaux. Leur marge de manoeuvre s’est néanmoins considérablement réduite! Les caisses de pensions qui appliquent le minimum LPP, quant à elles, peuvent être mises dans des situations très difficiles, notamment si leur structure démographique est défavorable. C’est donc, le cas échéant, le Fonds de garantie qui assumera d’éventuels dommages issus des retards de la réforme institutionnelle. Une question lancinante se pose néanmoins: pendant combien de temps les assurés vont-ils accepter de voir leurs prestations baisser, parfois drastiquement, sans avoir de perspectives claires sur la durabilité du système. La confiance dans le 2e pilier pourrait être mise à rude épreuve!

Les Suisses aiment bien se gausser des Français et de leur prétendue incapacité à se réformer. La Suisse est aujourd’hui un des derniers pays d’Europe occidentale à ne pas avoir entrepris de réforme sérieuse de son système de retraite. Alors certes, le système suisse disposait de réserves et d’un peu de marge, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il faudra donc bien qu’un compromis helvétique sorte un jour des urnes, et il n’est pas impossible qu’il ressemble finalement beaucoup à «Prévoyance 2020».

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